Bonhoeffer et la grâce

Bonhoeffer et la grâce
Les dangers de la grâce terrible, équivoque, non barrée par le réel
• 25/12/2023 •

La «grâce qui coûte» et la suivance (Nachfolge), tels sont les thèmes du Prix de la grâce (1937). [1]
Seul celui qui croit obéit, seul celui qui obéit croit:

La grâce à bon marché ignore la croix; la grâce coûteuse place le disciple sous la croix. La grâce à bon marché est la grâce comme présupposé, qui dispense de la sequela, parce qu’elle présuppose simplement la volonté salvifique de Dieu; la grâce coûteuse est la grâce comme résultat, parce qu’elle fait valoir l’exigence de la vie chrétienne qui est, en définitive, se mettre à la suite du Christ. [2]

Le prix de la grâce est une œuvre de circonstance, à l’adresse d’un luthéranisme tranquille qui se satisfait de sauvegarder son héritage. Mais comme le note Dumas:

C’est cependant une œuvre éminemment luthérienne qui au cœur de la profanisation du monde contemple la passion du Christ. C’est surtout une œuvre inquiète qui veut la confession et souffre du rétrécissement que cette confession impose car l’épuration de l’Église par l’obéissance la menace aussi du perfectionnisme évangélique des purs. [3]

Bonhoeffer lui-même, sans le renier, y jettera plus tard (1944) un regard critique:

Aujourd’hui je vois clairement les dangers de ce livre, sans cesser pourtant d’y souscrire. [4]

Œuvre plus sereine, La vie communautaire lui servira de correctif, de cette correction qu’impose la réalité:

Or précise-t-il, la réalité humaine assumée par Dieu vaut mieux que l’idéal humain que nous nous forgeons de l’au-delà divin. […] La Vie communautaire, qui est le compte-rendu d’une expérience bâtie sur l’obéissance de la foi, corrige ainsi ce que Le Prix de la grâce conservait d’équivoque piétiste. C’est toujours le contrôle de la réalité qui garde Bonhoeffer de basculer vers le fanatisme de la décision ou la mélancolie de l’échec. [5]

Il reprendra ce motif de «l’adhérence au réel contre la fascination de l’ultime» (Dumas) dans son Éthique.

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[1] Réédité par H. Mottu en 2009 sous le titre Vivre en disciple (Genève, Labor et Fides).
[2] R. Gibellini, Panorama de la théologie au XXe siècle, Cerf, 2004, p. 125.
[3] A. Dumas, «Dietrich Bonhoeffer et l’interprétation du christianisme comme non-religion», Archives de Sciences Sociales des Religions, 19, n° 1, 1965, pp. 5-29, ici p. 14.
https://bit.ly/dumas-bonhoeffer-non-religion
[4] F. Rognon, Dietrich Bonhoeffer. Un modèle de foi chrétienne incarnée et de cohérence entre les convictions et la vie, Lyon, Olivétan, 2011, p. 113.
[5] A. Dumas, ibid.